Disrupter le vieillissement

Crédit Photo : Lyad

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Un des défis à relever pour élaborer une réponse globale au vieillissement des populations, consiste en ce que de nombreuses perceptions et croyances courantes sur les personnes âgées sont fondées sur des stéréotypes totalement dépassés. Ceci limite la manière dont nous conceptualisons les problèmes, les questions que nous posons, et notre capacité à saisir les opportunités innovantes. Les faits indiquent qu’il est nécessaire d’adopter de nouvelles perspectives.

Les personnes âgées se caractérisent par une grande diversité

Il n’existe pas de modèle-type de la personne âgée. Certaines personnes de 80 ans ont des capacités physiques et mentales comparables à celles de nombreux jeunes de 20  ans. Les politiques doivent être conçues de manière à permettre à autant de personnes que possible de réaliser cette trajectoire positive de vieillissement. Elles doivent en outre contribuer à éliminer les nombreux obstacles qui limitent la contribution et la participation sociale continues des personnes âgées. Mais de nombreuses personnes connaîtront une altération significative de leurs capacités à un âge beaucoup plus précoce. Par exemple, certaines personnes de 60 ans peuvent nécessiter l’aide d’une tierce personne pour réaliser certaines activités, même les plus élémentaires. Une réponse globale de santé publique au vieillissement de la population se doit également de répondre à leurs besoins.

Stimuler les capacités et répondre aux besoins de ces populations si diverses peut entraîner des politiques qui semblent décousues, qui sont parfois gérées par des départements différents et concurrents au sein d’un même gouvernement. Il serait préférable de considérer la diversité des besoins des personnes âgées comme un continuum fonctionnel. Pour cela, une réponse politique globale devrait être capable de concilier ces différents éléments en un parcours cohérent du vieillissement.

La diversité chez les personnes âgées n’est pas aléatoire

Bien qu’une partie de la diversité observée chez les personnes âgées reflète notre patrimoine génétique , la part la plus significative de cette diversité résulte de l’environnement physique et social dans lequel nous vivons. Cet environnement comprend notre domicile, notre voisinage et notre communauté, et ceux-ci peuvent affecter notre santé, de manière directe ou par le biais d’obstacles ou d’incitations qui influencent les opportunités qui s’offrent à nous, ainsi que les décisions et les comportements que nous adoptons.

Mais la relation que nous avons avec notre environnement varie en fonction de plusieurs caractéristiques personnelles, y compris la famille dans laquelle nous sommes nés, notre sexe et notre appartenance ethnique. L’influence de l’environnement est souvent fondamentalement biaisée par ces caractéristiques, conduisant à des inégalités en matière de santé, injustes et évitables. En effet, une part importante de la grande diversité des capacités et des situations que nous observons chez les personnes âgées est probablement sous-tendue par l’impact de ces iniquités en santé, qui s’accumule sur l’ensemble du cycle de vie. Plus le niveau de revenu adéquat est élevé, plus le pic des capacités physiques moyennes est élevé dans la petite enfance. Cette disparité tend à persister tout au long de la vie.

Ces modèles ont des implications majeures dans le développement des politiques, parce que les personnes qui ont les besoins en matière de santé les plus importants à n’importe quel moment de la vie, peuvent également être celles qui ont le moins de ressources pour y remédier. Les réponses politiques doivent être élaborées de manière à surmonter ces inégalités plutôt que de les renforcer. Vieillir n’est pas synonyme de dépendance

Bien qu’il n’existe pas de modèle-type de la personne âgée, la société la considère souvent à travers des stéréotypes qui peuvent conduire à une discrimination à l’encontre d’individus ou de groupes de personnes, basée tout simplement sur leur âge. Aujourd’hui, la discrimination à l’encontre des personnes âgées (ou « âgisme » ) peut constituer une forme de discrimination encore plus universelle que le sexisme ou le racisme. Un des stéréotypes les plus répandus relatif à l’âge, part du principe que les personnes âgées sont dépendantes ou constituent un fardeau. Ceci peut conduire, lors de l’élaboration des politiques, à l’hypothèse que les dépenses relatives aux personnes âgées constituent tout simplement une lourde charge sur les économies, et qu’il faut mettre l’accent sur la maîtrise des coûts.

Les hypothèses basées sur l’âge en matière de dépendance, ignorent les nombreuses contributions que les personnes âgées apportent à l’économie. Par exemple, une recherche menée au Royaume-Uni en 2011 a estimé qu’après avoir imputé le coût des retraites, de l’aide sociale et des soins de santé aux contributions apportées par la fiscalité, les dépenses en matière de consommation et d’autres activités économiquement productives, les personnes âgées ont apporté une contribution nette à la société de près de 40 milliards de Livres (£) ; celle-ci passera à 77 milliards de £ en 2030.

Malgré que l’on dispose de moins d’éléments de preuves en provenance des pays à revenus faibles et intermédiaires, la contribution des personnes âgées dans ces contextes est également significative. Au Kenya, par exemple, l’âge moyen des petits exploitants agricoles est supérieur à 60 ans. Les personnes âgées sont par conséquent essentielles au maintien de la sécurité alimentaire au Kenya, ainsi que dans d’autres parties de l’Afrique subsaharienne. Elles jouent également un rôle crucial dans le soutien d’autres générations. En Zambie, par exemple, environ un tiers des femmes âgées sont les principales responsables et aidants naturels de leurs petits-enfants dont les parents sont soit décédés dans l’épidémie de VIH, soit ont migré pour trouver du travail.

En outre, quelque soit le contexte socio-économique, les personnes âgées apportent une contribution sous diverses formes moins tangibles économiquement, comme par exemple, en offrant un soutien affectif en période de stress, ou une guidance et un accompagnement lors de problèmes majeurs. Les politiques devraient être élaborées de manière à promouvoir la capacité des personnes âgées à assurer ces multiples contributions.

Le vieillissement de la population augmentera le coût des soins – mais pas autant que prévu

Une autre idée reçue largement répandue est le fait que les besoins croissants des personnes âgées vont entraîner une augmentation insoutenable des coûts de soins de santé. En réalité, la situation est beaucoup moins claire qu’il n’y parait.

Bien que le vieillissement soit généralement associé à de plus importants besoins en matière de santé, sa relation tant avec l’utilisation des services de santé qu’avec les dépenses de santé est variable. En fait, dans certains pays à revenu élevé, les dépenses de santé par tête d’habitant diminuent considérablement après l’âge de 75 ans environ (alors que les dépenses pour les soins de longue durée augmentent). Puisque de plus en plus de personnes atteignent un âge avancé, le fait de permettre à ces personnes de vivre longtemps et en bonne santé pourrait par consé- quent atténuer les pressions exercées sur l’inflation des coûts de santé.

Le lien entre l’âge et le coût des soins est également fortement influencé par le système de santé lui-même. Ceci est susceptible de refléter les différences entre les systèmes de prestations, de subventions, d’approches en matière de prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie, ainsi que les différences en termes de normes culturelles, en particulier à l’approche de la mort.

En effet, quelque soit l’âge au décès, la période qui est associée aux coûts de santé les plus importants est la dernière ou les deux dernières années de la vie. Mais ce lien varie aussi considérablement en fonction des pays. Par exemple, environ 10 % de l’ensemble des dépenses de santé en Australie et aux Pays-Bas, et autour de 22 % aux États-Unis, sont engagés dans les soins aux personnes dans leur dernière année de vie . La hausse des dépenses associées aux dernières années de la vie semblent également moins élevées dans les groupes de personnes les plus âgées, comparées aux groupes plus jeunes.

Bien que davantage d’éléments de preuves soient nécessaires, prédire les futurs coûts de santé en se basant sur la pyramide des âges de la population est de ce fait discutable. Ceci est renforcé par des analyses menées dans le passé qui suggèrent que le vieillissement de la population a beaucoup moins d’influence sur les dépenses de santé que de nombreux autres facteurs. A titre d’exemple, aux Etats Unis, entre 1940 et 1990 (qui correspond à une période de vieillissement de la population beaucoup plus rapide que ce qui a prévalu depuis), le vieillissement semble avoir contribué à hauteur de 2 % environ de l’augmentation des dépenses de santé, alors que les changements liés à la technologie ont été responsables de 38 % à 65 % de l’augmentation.

Les personnes de 70 ans ne sont pas la nouvelle génération des 60 ans, mais pourraient bien le devenir

Une hypothèse qui va à l’encontre des conceptions erronées généralement associées au vieillissement, est que les personnes âgées d’aujourd’hui sont en meilleure santé que leurs parents ou leurs grands-parents. Cette idée est résumée par l’adage « Les personnes de 70 ans représentent la nouvelle tranche d’âge des 60 ans » . Bien qu’elle semble exacte à première vue, cette hypothèse pourrait comporter un bémol. Si les personnes de 70 ans aujourd’hui sont dans le même état de santé que celles de 60 ans dans le passé, on pourrait tirer la conclusion que les personnes de 70 ans d’aujourd’hui sont plus aptes à se « débrouiller » par elles-mêmes, et elles auraient par conséquent moins besoin d’aides diverses comme les mesures politiques.

Bien qu’il existe des éléments de preuves solides que les personnes âgées vivent plus longtemps, en particulier dans les pays à revenu élevé, la qualité de vie de ces années supplémentaires n’est pas clairement déterminée. Les résultats de la recherche sont très contradictoires, tant à l’intérieur d’un même pays qu’entre les pays. En outre, les tendances au sein des différents sous-groupes de population peuvent être très variables les uns des autres.

L’analyse par l’OMS des personnes nées entre 1916 et 1958, ayant participé à plusieurs études longitudinales à grande échelle, indique que la prévalence des situations de handicap sévère (qui nécessite l’aide d’une tierce personne pour réaliser des activités aussi courantes que l’alimentation et l’hygiène personnelle) peut avoir légèrement diminué, alors qu’aucune variation significative n’a été observée pour les déficiences moins sévères.

En outre, quel que soit le contexte, les recherches ont généralement pris en considération uniquement les pertes d’autonomie significatives qui surviennent le plus souvent dans les dernières années de la vie. Parce qu’une diminution des capacités débute généralement beaucoup plus tôt, la manière de comparer les capacités intrinsèques des personnes qui ont encore 10-20 ans à vivre par rapport à celles des générations précédentes, demeure encore largement inconnue. Bien que les personnes de 70 ans ne semblent pas encore constituer la nouvelle génération des 60 ans, il n’y a aucune raison que cela ne devienne une réalité dans l’avenir. Mais pour ce faire, cela nécessitera une action de santé publique relative au vieillissement qui soit beaucoup plus concertée.

Les dépenses relatives aux personnes âgées représentent un investissement et non un coût

Les dépenses relatives aux systèmes de santé, aux soins de longue durée et à de plus vastes environnements facilitateurs sont souvent considérées comme des coûts. Ce rapport adopte une approche différente. Il considère ces dépenses comme des investissements, qui encouragent les aptitudes des personnes âgées, et, par conséquent, leur bien-être et leur contribution. Ces investissements aident également les sociétés à respecter leurs obligations en ce qui concerne les droits fondamentaux des personnes âgées. Dans certains cas, le bénéfice de ces investissements est direct (de meilleurs systèmes de santé conduisent à une meilleure santé, qui permet à son tour une plus importante participation et un niveau supérieur de bien-être). D’autres types de bénéfices peuvent être moins évidents mais exigent une égale considération : par exemple, investir dans les soins à long terme aidera les personnes âgées avec d’importantes limitations fonctionnelles de maintenir une vie digne, et peut également permettre aux femmes de rester sur le marché du travail, et encourager la cohésion sociale grâce au partage des risques au sein de la communauté.

Reformuler la logique économique de l’action de cette manière déplace à nouveau le débat : à la focalisation sur la minimisation de ces coûts prétendus, il faut substituer une analyse qui prend en considération les avantages dont la société serait privée si elle ne parvient pas à réaliser les adaptations et les investissements adéquats. Il sera crucial de quantifier et de prendre en compte pleinement l’ampleur des investissements et des dividendes qu’ils rapportent, si les décideurs veulent concevoir des politiques réellement éclairées.

Ce changement de la façon de percevoir le vieillissement a maintenant un nom souvent employé par Jo Ann Jenkins la CEO de l’AAR : Disrupting Aging.