Une personne de ma famille voulait acheter une tablette.
Pas une tablette dernier cri, non.
Une tablette simple d’utilisation, pensée pour les seniors :
grandes icônes, interface épurée, assistance intégrée.
Le genre de produit qu’on voit dans Notre Temps avec la promesse magique :
“Restez connecté à vos petits-enfants, sans stress.”
Sur le papier, c’était parfait.
Elle voulait surtout échanger des mails, faire un peu de YouTube, recevoir des photos.
Mais avant d’acheter, elle m’a demandé mon avis.
Et là, quelque chose s’est figé.
Pas chez elle. Chez moi.
J’ai senti une peur étrange :
celle de ne pas savoir l’aider si la tablette posait problème.
Ce produit « trop différent » réveillait en moi un réflexe de protection :
“Prends plutôt la même tablette que moi, ce sera plus simple.”
Le cerveau adore la familiarité.
Face à l’inconnu, l’amygdale tire la sonnette d’alarme avant même que la raison ne parle.
En neurosciences, on appelle ça le biais de statu quo :
mieux vaut un système imparfait mais connu, qu’un système inconnu, même s’il promet plus de confort.
Résultat :
elle n’a pas acheté la tablette simplifiée.
Elle a pris une tablette Samsung “classique”, que je pouvais configurer et dépanner.
Dix ans plus tard, elle s’en sort très bien.
Mais à l’époque, la vente du produit senior était perdue.
Pas à cause d’un défaut du produit.
À cause d’un biais de peur partagé entre elle et moi.
Et c’est là que se joue une grande partie de l’échec commercial de la Silver Économie.
Les seniors ne sont pas les seuls à douter.
Leur entourage doute aussi.
Quand un fils ou une fille n’a pas confiance dans un produit,
il va naturellement le déconseiller,
souvent pour une bonne raison :
éviter que ses parents ne soient frustrés, perdus, ou dépendants.
Mais ce réflexe double la barrière à franchir.
Dans la Silver Économie, il y a deux acheteurs à convaincre :
celui qui utilisera, et celui qui rassure.
Un bon vendeur doit donc rassurer les deux cerveaux :
celui du senior (qui veut rester autonome),
et celui de la famille (qui veut éviter les complications).
Le marketing classique parle à l’utilisateur.
Le marketing Silver doit parler aussi à la relation.
La solution ?
Créer un pont de confiance.
Un guide simple pour les proches, une démonstration claire,
des preuves que le produit ne les isolera pas dans une technologie étrangère.
Parce qu’au fond, on ne vend pas une tablette.
On vend un sentiment de sécurité partagée.
Et tant que la peur de l’autre bloquera la vente,
aucun produit Silver — aussi bien conçu soit-il — ne percera vraiment.
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