Quand on travaille uniquement dans la Silver Économie, on se retrouve souvent aux mêmes endroits : colloques, associations, clubs, commissions.
L’avantage est évident : échanges, networking, stimulation intellectuelle.
Mais il existe aussi un inconvénient plus subtil : la mutualisation des biais cognitifs.
Quand les biais se renforcent au lieu de s’équilibrer
Les sciences cognitives nous montrent que notre cerveau est loin d’être neutre. Il applique des raccourcis, des heuristiques, qui peuvent devenir des biais décisionnels. En marketing, en stratégie, en innovation, ces biais sont parfois utiles pour avancer plus vite, mais ils peuvent aussi brouiller la lucidité.
Quelques exemples fréquents dans la Silver Économie :
- Biais de confirmation : on retient surtout les informations qui valident notre intuition (« les seniors veulent rester à domicile », « la téléassistance est l’avenir ») en oubliant les signaux faibles qui contredisent ce discours.
- Effet de groupe / conformisme : en association, quand plusieurs experts valident une idée, la majorité suit, même si le marché réel ne la confirmera pas.
- Escalade d’engagement : on continue à pousser un projet parce que beaucoup d’énergie et d’argent ont déjà été investis, même si les indicateurs de terrain restent faibles.
- Biais de représentativité : croire qu’un panel de seniors rencontrés lors d’un test reflète l’ensemble des 50+.
Mutualisés dans des cercles spécialisés, ces biais se renforcent. On finit par « penser Silver », « rêver Silver », « analyser Silver », sans voir autre chose.
L’oubli des industries
Un autre effet pervers de ce prisme unique est l’oubli que chaque projet appartient aussi… à une industrie.
Un service de livraison de repas pour seniors reste d’abord un projet agroalimentaire et logistique.
Une solution domotique reste un projet tech et distribution.
Un habitat intergénérationnel reste un projet immobilier et réglementaire.
La réussite ne dépend donc pas seulement de l’acceptation par les seniors, mais aussi des facteurs-clés de succès propres à chaque secteur : marges, normes, distribution, structure des coûts, chaînes d’approvisionnement, etc.
Or, trop d’analyses dans la Silver Économie négligent ces frameworks sectoriels pour se focaliser exclusivement sur « l’angle senior ».
Sortir du tunnel cognitif
Travailler dans la Silver Économie exige un double regard :
- Celui des seniors eux-mêmes (leurs comportements, freins, motivations, diversité).
- Celui de l’industrie dans laquelle s’inscrit le projet (avec ses contraintes, ses dynamiques, ses modèles stratégiques).
Oublier l’un ou l’autre, c’est risquer de se tromper.
La vigilance face aux biais cognitifs est donc une compétence stratégique. Cela implique de diversifier les sources d’inspiration, d’ouvrir les cercles d’échange à d’autres secteurs, et de réintégrer les frameworks propres aux industries concernées.
Parce qu’au fond, la Silver Économie n’est pas une industrie en soi : c’est une lentille de lecture transversale. Et cette lentille peut éclairer… ou aveugler.
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