Silver économie : la raison essentielle des flops

Depuis 1999, j’ai accompagné plusieurs centaines d’entreprises sur le marché des Seniors (Silver économie) en France et à l’étranger.

Dans la croyance entrepreneuriale générale “c’est l’eldorado” : un marché des Seniors estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros, alors marketeurs et entrepreneurs se sont rués sur ce marché prometteur.

Le nombre de start-up sur ce marché a bondi.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Quel bilan tirer en 2018 ? Ceux qui ont hésité à se lancer ont-ils raté une opportunité ? Oui, certainement, mais il est encore temps.

La réalité est bien rude : les défaillances ont été nombreuses et très au dessus de la moyenne.

Savez-vous que la grande majorité des start-up, qui a été créée entre 2007 et 2013 et qui a reçu un prix de la profession, n’existe plus en 2018 ?

Comme par exemple, les réseaux sociaux Internet à destination des Seniors qui se créaient toutes les deux semaines dans les années 2000.

Du côté des start-up technologiques, celles qui ont « survécu » et qui se sont développées ont dû, très souvent, leur salut à une réorientation stratégique : essayer de vendre leurs solutions aux Ehpad et aux hôpitaux. Et encore, les résultats sont souvent moyens.

Que c’est-il passé ?  Le marché a t-il été surévalué ?

Non !

Les études économiques sont sans appel. C’est bien un marché énorme et prometteur.

Mais c’est un marché encore nouveau et complexe.

L’erreur est que ces entrepreneurs et marketeurs ont utilisé les recettes traditionnelles de marketing qui ne fonctionnent pas ici.

Combien de fois ai-je vu des entreprises qui se sont contentées de confier leur réflexion sur la conquête du marché des Seniors à leur département marketing ou à leur agence marketing traditionnelle totalement dépassés ?

Cela a presque tout le temps donné des stratégies incomplètes et incohérentes… et des échecs ou des résultats médiocres.

Même pour ceux qui ont compris les sources de la complexité, l’aventure peut s’avérer cruelle.

Fondée en 2005, par le Dr Jean-Eric Lundy, Vigilio était une start-up du marché des Seniors qui faisait retentir son écho à travers la conception d’une solution de sécurisation des chutes, destinée à faciliter la prise en charge des personnes âgées.

En effet, celle-ci proposait un détecteur de chutes, baptisé « Vigi’Fall ».

Vigilio pouvait se prévaloir d’être sélectionné par la commission Européenne, parmi des milliers de projets quant à bénéficier d’une large couverture médiatique dans le cadre du lancement du programme nommé « Horizon 2020 ».

Le patch Vigi’Fall avait été évalué à travers des études réalisées en laboratoire, à l’hôpital, en Ehpad (maison de retraite) et à domicile.

Néanmoins, début 2016, Vigilio cesse ses activités.

« Tout aura été tenté depuis la création en 2005 pour faire de cette société un acteur de la télésanté et de la silver-économie mais la progression insuffisamment rapide de notre chiffre d’affaires ne nous permet plus de couvrir nos charges et par conséquent de poursuivre l’aventure » explique le Dr Jean-Eric Lundy en 2016, un des acteurs de la Silver économie à parler aussi librement.

Les ingrédients du succès semblaient pourtant réunis :

  • mise au point, développement et commercialisation du patch
  • fiabilité prouvée par une étude clinique randomisée
  • 10 brevets déposés en Europe et aux USA en partenariat avec l’UJF et l’INSA
  • protocoles de recherche, publications et conférences scientifiques
  • incubation par Paris Biotech Santé
  • aides à l’innovation (OSEO, BPIFrance, Collectivités, CIR, Entreprendre, Scientipôle, Humanis, AGIRC-ARRCO, Commission Européenne)
  • commercialisation en France par la Mutualité Française et à l’international

Même si le Dr Jean-Eric Lundy explique qu’il a fait partie des précurseurs et que « les capteurs miniaturisés et patchés seront l’une des clés du succès de la télésanté au service du maintien à domicile », les raisons de l’arrêt de cette aventure se retrouvent dans une grande majorité des start-up de la Silver économie qui a été lancé avant 2009 et dans certaines de celles créées depuis.

L’aventure de Vigilio rappelle celle de Lively aux USA où plus de 20 millions de dollars de fonds sont partis en fumée pour rien.

Pourquoi ces échecs ? Ces entrepreneurs sont pourtant brillants et compétents!

Sauf que dans leurs analyses, ont souvent été oubliés des signaux faibles qui sont des facteurs clefs de succès – encore plus difficiles – à détecter.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Vous en avez certainement entendu parler dans vos études en entrepreneuriat ou en marketing. Sauf que c’est souvent un concept assez vague, jugé évident et négligé dans les faits.

Les facteurs clefs de succès et plus encore, les “signaux faibles clefs de succès”, sont les éléments essentiels qui font qu’un produit réussit à rencontrer un marché.

Si, un seul de ces éléments est manquant, c’est l’échec quasi-assuré.

Toutes ces entreprises ont certes pris en compte certains facteurs clefs de succès (design, ergonomie, demande, etc.) mais justement, c’est qu’elles en ont pris certains en compte et ignoré d’autres…surtout des “signaux faibles clefs de succès”.

D’où l’échec.

Certains vont me dire que je ne prends pas le bon exemple avec Vigilio, alors, revenons au cas américain Lively.

Cette start-up proposait une montre connectée pour les personnes âgées avec différents bénéfices comme la géolocalisation, la mesure de données de santé ou encore un capteur de chute.

Plus de 20 millions de dollars ont été engloutis et une grande partie dans la publicité à la télévision. La plupart des commentateurs du marché des Seniors “vénérait” cette démarche avec un budget aussi important en publicité pour une start-up.

Que c’est-il passé ? Lively a négligé un “signal faible clef de succès” : un détail de la distribution spécifique.

Lively avait choisi de diffuser son service en direct, via la publicité à la télévision. Or, dans ce secteur des personnes âgées, il est nécessaire de proposer ce type de produits via des circuits de distribution que les personnes âgées connaissent et dans lesquels elles ont confiance. Je dis souvent que les personnes âgées cherchent “LE spécialiste”.

Le produit en lui-même répondait parfaitement à une demande des Seniors. Les investisseurs ne s’y sont pas trompés.

Mais, un “signal faible clef de succès” a été négligé et occulté, celui du type de distribution.

Au final, Lively a été liquidée en 2016.

 

Les meilleures études et les plus belles analyses peuvent être réalisées, si un seul facteur clé de succès manque, c’est le flop.

Seules l’expérience et une habitude permettent de détecter les facteurs clés de succès, loin des généralités dites dans les conférences et autres conseils.