Quand la culture d’entreprise sabote la Silver Économie

deux vendeurs sportifs avec un couple de seniors

Il y a une quinzaine d’années, un directeur marketing d’une grande enseigne d’articles de sport m’appelle. Enthousiaste, il me dit :
« On veut créer un rayon spécial pour les seniors. Des équipements, des vêtements, tout un espace dédié. »

J’ai hésité. Entre la politesse professionnelle et l’honnêteté.
Et puis, j’ai choisi la franchise.
Je lui ai répondu :
« Un rayon pour les seniors ? Autant l’appeler rayon “spécial vieux” et le peindre en rose fluo pendant qu’on y est. »

Il a ri. Un peu jaune.
Mais au fond, il a compris.

L’erreur n’était pas uniquement le rayon. Elle était dans la culture.

L’idée n’était pas absurde : les plus de 50 ans font du sport, veulent rester actifs, ont du pouvoir d’achat.
Le problème, c’est que l’entreprise n’était pas construite pour eux.

Les dirigeants étaient tous d’anciens compétiteurs. Les vendeurs, de jeunes passionnés de performance.
Leur langage, c’était celui de la vitesse, du défi, de la performance.
Pas celui de la confiance, du confort ou du maintien de la mobilité.

On voulait vendre des produits “seniors”, mais dans une culture interne obsédée par la jeunesse.
Un modèle d’entreprise calibré pour le dépassement, pas pour la prévention.
Résultat : incohérence totale.

La culture, cet ennemi invisible des bonnes idées

Quand une stratégie échoue, on cherche souvent la cause dans la structure — “le projet n’était pas bien organisé”.
Mais le vrai saboteur se cache ailleurs : dans les sept piliers invisibles de l’entreprise.

Les fameux 7S :

  • Strategy : la vision de l’entreprise n’intégrait pas les seniors comme un levier central, mais comme une “niche”.
  • Structure : tout était conçu pour vendre la performance, pas la durabilité.
  • Systems : aucun process n’intégrait les besoins physiques ou émotionnels des 50+.
  • Style : le style de management valorisait l’effort extrême, pas l’écoute ou l’adaptation.
  • Staff : aucune diversité générationnelle dans les équipes.
  • Skills : les compétences clés tournaient autour de la technicité sportive, pas de l’empathie client.
  • Shared Values : la valeur suprême, c’était “repousser ses limites” — pas “prendre soin de soi”.

Autrement dit, presqu’aucun “S” n’était aligné.
Et quand les 7S tirent dans des directions différentes, aucune stratégie ne tient debout.

Adapter une stratégie seniors, ce n’est pas peindre un rayon en rose. C’est réécrire le logiciel interne.

C’est changer la manière dont on pense la performance.
C’est former les vendeurs à écouter avant de conseiller.
C’est introduire de la nuance dans un univers binaire : “fort/faible”, “jeune/vieux”, “gagnant/perdant”.
C’est réconcilier deux visions du corps : celui qui veut se dépasser, et celui qui veut durer.

Les entreprises échouent souvent non pas parce qu’elles ne comprennent pas le marché senior,
mais parce qu’elles ne se comprennent pas elles-mêmes.

La Silver Économie n’est pas un marché. C’est un miroir.

Elle reflète ce qu’une entreprise pense réellement de l’âge, du temps, de la vulnérabilité.
Et tant qu’elle ne changera pas son regard intérieur, aucune campagne marketing, aucun “rayon senior” ne changera rien.

Les stratégies réussies ne viennent pas de ceux qui “ajoutent” une cible,
mais de ceux qui s’alignent entre ce qu’ils sont, ce qu’ils disent, et ce qu’ils font.

C’est ça, le vrai défi de la Silver Économie :
aligner les 7S de l’entreprise avant d’essayer de comprendre les 7S du client.