Encore une nouvelle entreprise qui se lance dans la Silver Économie… avec une belle idée.
Récemment, une nouvelle société a vu le jour. Elle souhaite proposer des services que l’on pourrait assimiler à ceux d’un care manager. Pour simplifier, il s’agit d’un service destiné à aider les familles dans la prise en charge d’un proche âgé fragilisé, voire en perte d’autonomie.
J’allais dire : bon courage.
Une part importante des idées entrepreneuriales sur le marché des 50 ans et plus — notamment dans le développement de produits et de services spécifiquement dédiés à cette population — rencontre de nombreuses difficultés.
Cela ne signifie pas pour autant que ces idées sont mauvaises.
Bien au contraire : proposer un service pour accompagner les familles face à la dépendance est une excellente idée.
Mais il y a un mais.
Les familles ont effectivement besoin d’aide. On répond donc à un besoin fort.
La difficulté, c’est que ce type de service — le care manager — n’a jamais véritablement décollé à grande échelle.
Pourquoi ? Parce que les familles ne savent même pas que ce service existe.
Même de grands groupes d’EHPAD qui avaient tenté de le lancer y ont finalement renoncé.
Pourquoi ?
Parce que faire connaître un service qui répond à un besoin fort nécessite une communication puissante et régulière.
- Puissante, pour générer la notoriété.
- Régulière, pour atteindre la famille au bon moment.
Avant la dégradation de l’état de santé de leur proche, les familles n’ont pas conscience de la situation qu’elles vont affronter.
Ainsi, même si elles sont exposées au service, il y a très peu de chances qu’elles en gardent la mémoire.
Et au moment où elles en auraient besoin, il sera trop tard pour aller chercher l’information, ou le stress émotionnel rendra la démarche encore plus difficile.
C’est pourquoi faire connaître un tel service demande une stratégie de communication longue, régulière et impactante.
Un défi souvent hors de portée des startups de la Silver Économie.
Et ce n’est pas tout.
Même si l’entreprise a les moyens de communiquer massivement, la confiance dans la marque constitue un autre obstacle.
Les familles auront du mal à faire confiance à une entreprise inconnue, surtout sur un sujet aussi sensible.
Cela, nous l’avons vu dans de nombreuses études stratégiques et à travers plus de 25 ans de missions sur le marché des seniors : dans les moments clés, les seniors et leurs proches ont besoin d’être rassurés, et les marques connues rassurent.
On se retrouve donc dans une situation où :
- la famille a conscience des difficultés,
- mais n’a pas conscience de l’existence du service… ni de l’entreprise qui le propose.
Autre difficulté :
Si ce service est proposé trop tôt, la famille ne le valorisera pas à sa juste mesure, car elle ne vit pas encore les difficultés.
Elle ne sera donc pas disposée à payer son juste prix.
Idéalement, il faudrait pouvoir proposer ce service au bon moment :
lorsque la famille commence réellement à rencontrer des difficultés et à prendre conscience des conséquences.
La matrice CC : Conscience & Connaissance
En 2016, j’ai développé une matrice que j’ai appelée la matrice CC.
- Sur l’axe horizontal : le degré de conscience qu’a une personne de sa situation (dans ce cas, celui de la famille).
- Sur l’axe vertical : le degré de connaissance des solutions existantes pour répondre à ses difficultés.
On obtient alors quatre cadrants.
Le cadran le plus prometteur est celui des Éveillés :
ceux qui sont conscients de leur situation et qui connaissent les solutions.
Ils sont les plus susceptibles d’acheter un produit ou un service de la Silver Économie de manière préventive.
C’est ce type de profil qui pourrait utiliser les services de care management en priorité.
Mais…
La très grande majorité des familles se situent dans le cadran en bas à droite : ce sont les Conquis.
Elles sont conscientes des difficultés (car elles les vivent),
mais ne connaissent pas le métier de care manager.
Et c’est là que réside la grande difficulté stratégique.
Une approche stratégique nécessaire
Lorsque nous accompagnons nos clients, nous positionnons leurs activités sur différentes matrices stratégiques.
La matrice CC permet non seulement de savoir comment s’adresser à la cible, mais aussi d’évaluer l’effort de communication nécessaire.
Prenons un exemple : celui de l’habitat inclusif.
Imaginons qu’un projet d’habitat inclusif avec 20 logements s’implante dans une ville de moins de 3 000 habitants.
Avec une bonne communication locale, on peut parier que, en quelques semaines, une grande partie des seniors de la ville seront informés de son ouverture.
Le nombre d’Éveillés sera alors suffisant pour remplir le programme.
Mais…
Sur l’ensemble de la France, il faudra utiliser des canaux plus puissants, comme la télévision.
Ce qui signifie des budgets importants et des coûts d’acquisition qui peuvent devenir incompatibles avec la rentabilité du projet.
Cela reste possible, comme l’ont montré les stratégies menées par Stannah ou Epitact, mais ces acteurs ont des moyens très différents.
Conclusion
Si l’on lance un service à destination de familles qui ne sont pas encore conscientes des difficultés qu’elles pourraient rencontrer, on s’expose à de très grandes difficultés de développement.
En revanche, plus la conscience de la situation est forte,
plus la douleur est réelle,
plus les personnes sont prêtes à payer le service au juste prix.
Et c’est ici que se joue la réussite — ou l’échec — de nombreuses initiatives dans la Silver Économie.
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